Des mosaïques pour la Major

Le fonds de l’Agence de construction de la Nouvelle Major à Marseille, coté 24 J, a été versé aux Archives départementales des Bouches-du-Rhône en 1944 par le Service des Monuments Historiques qui le conservait depuis 1906, date du classement de l’édifice comme Monument Historique. Composé de liasses administratives ainsi que de nombreux plans et dessins, ce fonds n’est pas communicable à cause de son très mauvais état de conservation. En 2019, une vaste opération de restauration a débuté afin d’en assurer la préservation et d’en permettre l’accès au public.

Ce fut l'occasion de découvrir et de restaurer les magnifiques dessins de mosaïques destinés à la cathédrale de Marseille dont nous présentons quelques exemples sur cette page. 

Référence des documents : fonds de l'Agence de construction de la Nouvelle Major - 24 J 68 : mosaïques [2e moitié du XIXe siècle]

© Arch. dép. Bouches-du-Rhône



Construire la nouvelle Major à Marseille

L’Agence de construction de la Nouvelle Major à Marseille était chargée de construire la nouvelle cathédrale Sainte-Marie-Majeure de Marseille, dite La Major. Situé dans le quartier de la Joliette dans le 2e arrondissement, cet édifice, construit en style néo-byzantin entre 1852 et 1893 sur les plans de l'architecte Léon Vaudoyer, se dresse sur une esplanade entre le Vieux-Port et le port de la Joliette, sur l'emplacement de l'ancienne cathédrale du XIIe siècle, d'où vient le nom occitan de « Major ». Son architecture et sa décoration intérieure, en marbre et porphyre, lui donnent un aspect majestueux.  

Le fonds 24 J comprend quantité de pièces en papier mécanique et calque, allant de l’élégant croquis d’une statue à la mine de plomb aux plans détaillés à l’encre des voûtes, transept, nefs, autel, portails, chapiteaux, coupoles et autres éléments architecturaux, en passant par de larges tracés au fusain ou à l’aquarelle. Tout y est recensé, souvent daté et signé dans des cartouches par l’Agence en charge de la construction, voire par l’architecte lui-même.


Une enquête autour de dessins de mosaïques

En 2020, alors que nous ouvrons une énième pochette de documents pour en faire les constats d’état, préalable indispensable à la restauration, nous découvrons des calques peints à l’aquarelle semblant représenter des mosaïques. Ils ont subi les affres d’une oxydation très prononcée qui a provoqué la scission des pièces en plusieurs fragments. Un minutieux travail de reconstitution commence. Tel un puzzle, nous assemblons patiemment les morceaux entre eux jusqu’à découvrir ce que ces mosaïques représentent : c’est un bestiaire ! Poisson, biche, pélican, dragon… toute une iconographie renvoyant au Moyen-Âge. La vivacité des couleurs alliée à leur dessin presque primitif rendent ces animaux à la fois vivants et figés dans le temps. Ils sont par ailleurs encadrés par des formes simples et géométriques, reconnaissables dans la décoration des chapiteaux notamment :  volutes, entrelacs, liserés.

Mais que font ces mosaïques au milieu des innombrables plans ? Pourquoi ces documents ne sont-ils pas datés ? Fallait-il dans un premier temps les imaginer à plat avant de les fabriquer en trois dimensions avec des tesselles, ces fragments de pierre colorée découpés et disposés en fonction du motif souhaité ? Ou bien ces documents restituent-ils à l’échelle ce qu’on peut admirer in situ, à la manière des cahiers d’attachements ?



On sait tout d’abord que de l'église primitive, il ne reste pas grand-chose. Seule la construction de la Nouvelle Major au XIXe siècle a mis au jour les vestiges d’anciens pavements en mosaïques représentant des animaux aux allures fantastiques. Ces derniers seront décrits dans un ouvrage de François Roustan, architecte départemental et des Monuments historiques du Var, en 1905 (voir bibliographie).

Ensuite et surtout, l’architecte Antoine Révoil, un des successeurs de Léon Vaudoyer décédé en 1872, achève la construction en apportant un soin tout particulier aux éléments de décoration : sculptures, bronzes et mosaïques. Pour cela, il envoie l’architecte Charles Errard (1826-1897) à Ravenne (Italie) pendant un an pour copier des œuvres byzantines. Le pavement de La Major est d’ailleurs attribué à ce dernier et la nouveauté du décor tient notamment à l’importance du cycle des mosaïques polychromes, remarquables par leur originalité et inspirées de l’Ecole vénitienne.  Par ailleurs, d’autres documents de l’article coté 24 J 68 sont des gravures imprimées de pavements, portant des annotations en référence à San Severo et au musée de Ravenne. On peut donc estimer que ces représentations de mosaïques sont des relevés d’Errard ou des projets inspirés de ses relevés. 

En tout état de cause, ces dessins d’animaux paraissent très proches de ceux figurant sur le pavement de la basilique Saint-Appollinaire à Classis, l’ancien port antique de Ravenne (VIe s.) dont le relevé a été réalisé par Charles Errard (voir bibliographie) ainsi que de celui provenant de la basilique San Severo et visible à la crypte Rasponi.

Enfin, notons qu’une fouille contemporaine réalisée entre 2000 et 2008 par Françoise Paone pour l’Institut National de Recherches Archéologiques Préventives (INRAP) a permis de restituer d'autres fragments de mosaïques, notamment sur le sol de la dernière travée de nef conservée. On y découvre qu’à l’époque carolingienne, une restauration avait eu lieu, notamment sur des motifs d’entrelacs, caractéristiques de cette période.

De ce fait, les dessins sur calque de mosaïques pourraient avoir été conçus et réalisés en référence à ce que l'on supposait du pavement de l’église primitive. Et le bestiaire médiéval aquarellé sur ces calques en serait une reconstitution directement issue des recherches de l’architecte Charles Errard et de sa collaboration avec Antoine Révoil. Elles s'intègrent en tout cas au style néo-byzantin voulu pour La Major. 

Décidément, les documents d’archives témoignent de la présence réelle, à un instant « T », d’une personne, d’une situation, mais aussi, comme ici, de l’Histoire architecturale, artistique ou symbolique.


Les dessins restaurés

Nous sommes en 2021, voici les calques de retour de restauration : les membres remis dans le bon ordre, les corps des animaux reprennent vie. Les fragments de calque ont été contrecollés sur du papier Japon (fonds beige), la matière n’est donc plus fragilisée par les déchirures et les cassures. Par un effet d’optique, la teinte orangée due à l’oxydation est légèrement atténuée par la mise à plat des plissements et des boursouflures. Les altérations relatives à une disparition de la matière – lacunes, perforations – ou à une transformation par frottement – exfoliations, épidermures – sont également devenues presqu’invisibles. Ce travail de restauration jette une lumière nouvelle sur les couleurs primaires des aquarelles et nous permet de poser un autre regard sur ces représentations imaginaires.

Et cela tombe bien car cette année, les Archives départementales ont choisi de travailler sur le thème des relations entre l’homme et l’animal. Le bestiaire des mosaïques de la Major, désormais restauré, en est une jolie illustration.





Ouvrages cités

Gayet, Albert. L'art byzantin d'après les monuments de l'Italie, de l'Istrie et de la Dalmatie. Ravenne et Pompose, Saint-Vital et l'abbaye des Bénédictins / relevés et dessinés par Charles Errard. Paris, Emile Gayard, 1901-1907

Roustan, François. La Major et le premier Baptistère de Marseille. Études et Documents inédits sur religieuse du Ve siècle. Marseille, Aubertin et Rolle, 1905 ; in-4° de 63 pages, avec 15 aquarelles et 33 planches en phototypie.



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