Le fabuleux destin de Marie Talabot (1822-1889)

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Les Archives départementales conservent l’Album du Château Talabot dit Bastido d’ou Roucas Blanc daté de 1873 et composé de huit vues dessinées d’après nature et lithographiées.

Il nous permet d’évoquer l’itinéraire tout à fait singulier d’une femme qui y vécut et en fut l’héritière, aujourd’hui méconnue, Marie Talabot, née le 15 décembre 1822.  Ni demi-mondaine, ni courtisane, cette petite fille pauvre est devenue Madame Talabot, portant ce nom prestigieux avec fierté et élégance, respectant la stricte étiquette et les usages dictés par la haute bourgeoisie. Elle gravit tous les échelons de la haute société du Second Empire puis de la IIIe République, pionnière par son parcours hors du commun dans un siècle où règne l’inégalité des sexes.

Une orpheline aveyronnaise à l’enfance laborieuse

Originaire de Saint-Geniez d’Olt en Aveyron, une ville de 7 000 âmes en 1822, Marie-Anne Savy est née dans une famille de tisserands à domicile. Ayant perdu sa mère à l’âge de cinq ans, elle est confiée à l’orphelinat de l’hospice de la ville tenu par les religieuses de Notre-Dame-de-France. La loi autorisait alors les patrons à employer les enfants abandonnés ou les orphelins : à neuf ans, Marie-Anne devient une petite main de l’industrie textile locale, les enfants représentant une main-d’œuvre idéale pour se glisser sous les métiers. À l’âge de 12 ans, Marie est placée comme bonne à tout faire dans une famille bourgeoise de la ville, les Palangié, possédant une fabrique de drap.

À Marseille : rendez-vous avec une destinée

La récession de l’industrie textile touche bientôt les Palangié qui se séparent de leur domesticité. Ils recommandent Marie-Anne à une famille de négociants protestants marseillais, les Fraissinet.

Marie-Anne devient la femme de chambre des six enfants de moins de douze ans de Marc-Constantin et Suzette Fraissinet qui en avaient douze.

On imagine Marie vive, jeune et jolie : mettant un terme à une idylle naissante avec l’un de leur fils, les Fraissinet confient Marie à l’un de leurs amis, Paulin Talabot (1799-1880), un brillant ingénieur des Ponts et Chaussées, né à Limoges, séduit par les idées progressistes des cercles Saint-Simoniens, qui contribua à faire naître et développer l’industrie du chemin de fer en France et à l’étranger, « le train devant unir fraternellement toutes les nations ».

À Nîmes, Marie devient bientôt la compagne de Paulin Talabot. Elle développe alors son éducation mondaine, perfectionne son français comme en témoigne son écriture, lit et étudie l’anglais. En 1846, Marie a vingt-quatre ans, elle commence à suivre Paulin dans certains de ses déplacements, découvre Paris puis l’Angleterre en 1847.

Paris, la conquête de la ville

Le couple quitte Nîmes en 1854 pour s’installer à Paris, dans la rue de Rivoli au cœur d’un nouveau quartier. À la conquête de la ville, aux côtés de Paulin, Marie découvre l’opéra, le théâtre, fréquente le salon littéraire de la poétesse Louise Colet originaire d’Aix-en-Provence. Elle reçoit également poètes et écrivains et semble jouir d’une incontestable considération.

Paulin Talabot et Marie-Anne Savy officialisent leur union civilement le 11 novembre 1857 à Paris, 1er arrondissement. Le mariage est célébré en précisant qu’il n’a pas été fait de contrat, « leur amour s’affranchissant des différences sociales et de fortune ». Marie-Anne Savy devient officiellement épouse à trente-cinq ans. Ses témoins, Louis Frémy, directeur du Crédit foncier de France, et Charles Louis Adolphe de Sibert-Cornillon, secrétaire général du ministre de la Justice, donnent une idée du milieu dans lequel elle évolue.

À cinquante-huit ans, Paulin Talabot est ingénieur en chef, directeur des Chemins de fer de Paris à la Méditerranée, officier de la Légion d’honneur, ses frères Auguste et Léon sont ses témoins.

Le mariage religieux a lieu le 28 février 1858 à l’église Saint-Roch avec les mêmes témoins.

Entre Paris, Marseille et l’Aveyron

C’est à partir de 1859 que le couple fait construire la bastide du Roucas-Blanc, où il résidera régulièrement.

Marie reste cependant surtout attachée à son Aveyron natal : elle y est retournée plusieurs fois et y conserve des relations privilégiées avec Mme Palangié, son ancienne patronne, ainsi qu’avec le curé de la ville, l’abbé Bessières, et quelques familles bourgeoises. Lorsqu’en 1875, la vallée du Lot est ravagée par de graves inondations, le couple Talabot apporte une aide considérable à l’aménagement, la restauration ou la reconstruction de monuments religieux ainsi qu’aux « inondés indigents » à travers souscription nationale et comités collecteurs.

À partir de 1871, la santé de Paulin Talabot se dégrade : il souffre de cécité suite à une chute et à l’utilisation excessive de chloroforme. Il n’en reste pas moins considéré comme un des plus grands hommes d’affaires de son temps, disposant d’un patrimoine très conséquent. Légataire de son mari malgré l’opposition de sa famille. Marie Talabot devient l’une des femmes les plus riches de son époque lorsque son mari s’éteint le 20 mars 1885.

1889, fin d’une vie exceptionnelle

À l’occasion de la visite officielle de la tour Eiffel le 1er juin 1889, Marie Talabot prend froid et ne s’en remettra pas. Elle décède le 26 novembre de la même année.

Les obsèques eurent lieu à l’église Saint-Cassien du Vallon de l’Oriol, sa paroisse marseillaise, puis la dépouille quitte Marseille pour le Rouergue, vers Saint-Geniez-d’Olt où l’abbé Joly lui rend hommage « C’est une femme d’une grande intelligence qui nous quitte. Sa force d’esprit, sa générosité inouïe envers les pauvres et les orphelins, envers nos églises et nos institutions, rayonnaient de grâce et de bonté car elle était bonne… ».

Comme les grands de son époque, Marie Talabot avait couché sur son testament le détail de ses obsèques et avait formulé la volonté de faire construire un tombeau somptueux qui domine encore aujourd’hui la vallée d’Olt. Conçue par Lucien Magne, architecte du ministère de l’Instruction publique, des Lettres et des Beaux-Arts, dans un premier temps à Paris, cette œuvre monumentale fut démontée, rangée dans cent-soixante caisses et transportée par le train en Aveyron.

Références

- Louis Mercadié, Marie Talabot, Une aveyronnaise dans le tourbillon du XIXe siècle, éditions du Rouergue, 2007

- Association Les femmes et la ville, collectif, Marseillaises, vingt-six siècles d’histoire, Edisud, 1999

- Sous la dir. de Georges Aillaud, Marseille, un terroir et ses bastides, éditions du comité du Vieux Marseille, 2011

- Le Petit Marseillais, 27 et 29 novembre 1889

- Inventaire de la succession, 12 Q 9 7 264, n°187, 24 novembre 1890

- Testament du 24 septembre 1886 et codicilles des 1er avril 1887 et 20 juillet 1889 déposés le 30 novembre 1889 chez maître Raynaud à Marseille, 353 E 416

- Inventaire après décès du 30 janvier 1890, maître Raynaud à Marseille, 353 E 417

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