Marseille février 1943. Quand la ville s’effondre.

Photographie de la rue Puits du Denier publiée dans l’ouvrage de Jacques Greber Ville de Marseille – Plan d’aménagement et d’extension – Mémoire descriptif, 1933. Arch. dép. des Bouches-du-Rhône, Beta 251.

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La destruction du quartier du Vieux-Port en 1943 a laissé de profonds stigmates dans le paysage urbain et dans le souvenir de ceux qui ont vécu les évènements. Cependant les circonstances sont encore confuses dans la mémoire collective. La commémoration des 80 ans nous offre l’occasion de porter à la connaissance du public certains documents des Archives départementales qui permettent d’en retracer le récit et les circonstances précises.

De la vieille ville stigmatisée aux projets de rénovation

Au début des années 1930, naît le mythe de « Marseille-Chicago », grouillante d’indésirables, sale, aux élites corrompues. Après le terrible incendie des Nouvelles Galeries, la ville est mise sous tutelle en 1939.

C’est dans ce contexte que se cristallisent sur la partie la plus ancienne du centre les images négatives de Marseille : l’état détérioré du bâti, le manque d’équipements relatifs à l’hygiène, la pauvreté, les lieux de prostitution et d’autres activités illicites… tout cela se conjugue pour en faire un lieu de réprobation sociale pour les uns mais aussi de fascination pour d’autres, photographes comme Germaine Krull, écrivains comme Cendrars ou McKay.

Dès le milieu du XIXe siècle, dans la logique des bouleversements haussmanniens, la vieille ville a fait l’objet de projets de rénovation, par exemple la création de la rue de la République qui entraîne la destruction de certaines rues de la vieille ville. Le quartier « derrière la Bourse » est exproprié et rasé entre 1910 et 1930 mais reste en l’état jusqu’aux années 1950. Au début des années 1930, l’architecte Jacques Greber conçoit avec l’architecte en chef du département Gaston Castel un plan d’urbanisme pour Marseille, resté sans lendemain.

C’est dans un contexte radicalement différent qu’un nouveau plan d’urbanisme signé par l’architecte Eugène Beaudouin est rendu public en 1942, avant l’arrivée des Allemands en zone Sud. Pour le gouvernement de Vichy, Marseille se trouve en effet dans une position stratégique sur le plan économique, dans la perspective de la reconstruction de la France, et sur le plan politique du « redressement national », ce qui implique la réalisation d’un plan d’envergure avec de nouveaux axes de circulation mais aussi « le nettoyage en profondeur des quartiers insalubres ».

Évacuation et destruction

Ce sont cependant les autorités allemandes qui ordonnent la destruction du quartier du Vieux-Port en 1943 pour des raisons de sécurité militaire. L’opportunisme des autorités françaises n’est pas à négliger et il sera vite mis en cause par la population, notamment lorsqu’elle apprendra la création de la Société Technique et Financière pour la reconstruction urbaine dite « Régie Foncière et immobilière de la Ville de Marseille » le 25 janvier 1943. La revue de propagande allemande Signal datée d’avril 1943, qui consacre une double page à la destruction, décrit d’ailleurs l’opération de destruction comme « une mesure de guerre coïncidant avec les projets de la municipalité appuyée par le gouvernement ». Après la libération, le rapport d’enquête relative à l’évacuation et à la destruction des quartiers nord du Vieux-Port menée minutieusement par le commissaire Jean Dautun,  daté du 22 février 1945, décrit en détails la préparation de l’opération, l’implication de la police de Vichy en la personne de René Bousquet, les collusions d’intérêts politico-financiers.

La destruction est ainsi précédée de rafles policière puis de l’évacuation du quartier à détruire. Le terme « évacuation » recouvre en réalité l’expulsion soudaine d’environ 20 000 personnes avec une brutalité inconcevable dont témoignent photographies, rapports et témoignages enregistrés après la libération. Cette expulsion se déroule en une journée. Le dimanche 24 janvier à 6 heures du matin, par haut-parleur, et rue par rue, l’ordre est diffusé aux habitants de procéder pour des raisons militaires à l’évacuation : « préparez-vous à quitter votre domicile, n’emportez que des bagages à main, linge de corps et vivres pour 48 heures. Votre hébergement sera assuré et des indemnités vous seront payées ». Le service d’ordre et les requis de la défense passive apportent leur aide aux évacués qui ont deux heures pour faire leur valise et partir. Ils sont conduits à la gare d’Arenc et de là vers un camp d’hébergement à Fréjus. L’opération est terminée le soir à 17 h. Le périmètre est bouclé et plus aucune circulation ne sera possible dans le quartier sans laissez-passer.

Après le criblage des évacués réalisé à Fréjus, certains eurent la possibilité de réintégrer Marseille, à condition de justifier d’un lieu de résidence, d’autres furent accueillis dans des centres d’hébergement dans le département ou bien, comme Victor Fauque, déportés.

Le 1er février, un travail de démolition « savante » est engagé, attentif à préserver certains éléments architecturaux comme l’église Saint-Laurent, la maison diamantée, l’hôtel Franciscou et les immeubles en façade du Vieux-Port. Les limites du secteur sont clairement définies, par exemple au nord l’alignement Grand’rue/rue Caisserie qui correspond à la séparation historique entre ville haute et ville basse.

L’opération est conduite sous l’autorité du lieutenant Braun, architecte-urbaniste du plan de Berlin.

Au total 14 hectares et 12 000 immeubles sont détruits en environ 15 jours.

Dès mars 1943, fut créé le groupement des évacués du Vieux-Port avec pour but de récupérer les indemnisations promises, mais leurs dossiers de réclamation sont restés ignorés pendant deux ans.

Reconstruction

Dans l’immédiat après-guerre la reconstruction des logements, malgré la crise aiguë, n’est pas une priorité : les urgences concernent en effet le ravitaillement, la remise en état du réseau des transports, la résolution du déficit énergétique et la relance de la production. Le périmètre mettra des années à être reconstruit, plusieurs architectes s’y succèderont et les évacués mettront du temps à faire reconnaître les dommages subis.

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