LA REPRESSION ADMINISTRATIVE DE LA COLLABORATION AVEC L’ENNEMI ET DES ACTIVITES ANTINATIONALES.
TEXTES FONDAMENTAUX RELATIFS A LA RÉPRESSION ADMINISTRATIVE.
1) Décret-loi du 12 novembre 1938, article 25, alinéa 3, sur l’internement des étrangers faisant l’objet d’un arrêté d’expulsion et ne pouvant, en raison des circonstances, regagner leur pays d’origine, ou n’ayant pas de pays d’accueil, en raison de leur qualité d’apatride. 2) Ordonnance du 18 novembre 1943, sur l’internement administratif des individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique. 3) Ordonnance du 4 octobre 1944, sur l’internement administratif des individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique (J. O. du 5 octobre 1944).
POLITIQUE DE RÉPRESSION ADMINISTRATIVE.
Les principes essentiels de cette politique sont rappelés dans la circulaire n° 77 du 3 novembre 1944 qui enjoint aux Préfets et Commissaires régionaux de la République de « concentrer leurs efforts et leurs recherches en vue de l’arrestation des personnalités marquantes qui ont collaboré avec l’ennemi ou déployé des activités antinationales. En raison même de leur haute situation qui leur assignait dans la Nation un rôle de guides et d’inspirateurs, ils sont particulièrement responsables et doivent être punis les premiers et le plus durement ».
RÔLE DU PRÉFET
La Commission Consultative de sécurité publique.
C’est au Préfet qu’il appartient de prendre, dans chaque département, les mesures qui s’imposent. Le Ministre de l’Intérieur a prescrit l’établissement, auprès de chaque préfecture, d’une Commission consultative de Sécurité publique qui doit jouer, auprès du Préfet, le rôle de la Commission de Sûreté du Ministère de l’Intérieur auprès du Ministre. Chacune d’entre elles était composée d’au moins trois membres : un représentant du Comité départemental de Libération, un magistrat ou ancien magistrat, un fonctionnaire de police désigné par le Préfet. Quand des arrestations sont décidées, elles doivent être faites par les forces régulières de police qui, pour dépister les individus à appréhender, reçoivent une aide efficace de la population et, en particulier, des divers groupements qui se proposent de coopérer à la « défense de la légalité républicaine ». Lorsque les dossiers régulièrement constitués parviennent au Préfet avec avis de la Commission consultative de Sécurité publique, ce dernier, aux termes de l’ordonnance du 4 octobre 1944, peut prendre différentes mesures. Dans les cas les plus graves qui sont du ressort de la justice, les individus appréhendés sont déférés au Parquet de la Cour de justice, des tribunaux de droit commun ou du tribunal militaire. Il peut également décider de prendre une mesure administrative suivante : - éloignement du lieu de résidence ; - obligation à résidence dans une localité spécialement désignée ; - internement administratif dans un établissement désigné par le Ministre de l’Intérieur. Chacune de ces trois mesures peut être accompagnée d’une mise sous séquestre des biens de l’intéressé.
Les Commissions de Vérification
Conformément à l’ordonnance du 4 octobre 1944, les mesures prises, par le Préfet sont immédiatement communiquées avec le dossier, au Commissaire régional de la République. A ce moment, les arrêtés préfectoraux d’éloignement, de mise en résidence surveillée ou d’internement, subissent un deuxième examen par les Commissions de vérification instituées auprès des Commissaires régionaux et du Ministre de l’Intérieur en application de l’article 2 de l’ordonnance du 4 octobre 1944, en aussi grand nombre qu’il est nécessaire pour obtenir un examen rapide des dossiers et chargées de donner aux Commissaires régionaux ou au Ministre de l’Intérieur des avis en vue des décisions qu’ils devront prendre en dernier ressort. Elles sont composées de trois membres, désignés par le Commissaire régional de la République : - un magistrat ou ancien magistrat, proposé par le premier président de la Cour d’appel du siège de la Commission, - un membre du Comité départemental de Libération, proposé par ce Comité, - un fonctionnaire de la Sûreté nationale. Devant la Commission de vérification qui peut procéder à l’interrogatoire des individus en cause, la défense doit être exercée par un avocat régulièrement inscrit à un barreau et se manifester par des mémoires écrits. Dans le mois qui suit l’arrivée du dossier, les Commissions de vérification doivent faire connaître leur avis aux Commissaires régionaux de la République qui peut, soit ordonner un supplément d’enquête, soit prendre une décision. Le Ministre de l’Intérieur a prescrit des mesures temporaires pour instruire rapidement les nombreux dossiers des arrestations massives auxquelles il a été procédé au moment de la libération. Dans l’effervescence des premiers jours, de très nombreuses personnes ont été appréhendées et conduites dans des locaux disciplinaires ou des camps de concentration. L’Administration s’est trouvée ainsi en face de milliers de dossiers qu’il convenait d’examiner rapidement.
Les Commissions de Triage
Pour y parvenir, le Ministre de l’Intérieur prescrit en novembre 1944, l’installation auprès de chaque centre d’internement, de Commissions de triage, composées d’un magistrat d’un membre proposé par le C.D.L. et d’un fonctionnaire de police. Elles doivent donner leur avis le plus rapidement possible au sujet du maintien en détention ou de la libération des individus internés. Le rôle de ces Commissions est purement consultatif, c’est aux Préfets qu’il appartient de prendre la décision sous forme d’arrêté qui, par la suite, est soumis à la procédure normale prévue par l’ordonnance du 4 octobre 1944.
Contrôle de la répression administrative
Enfin, soucieux de contrôler et de surveiller étroitement l’application des mesures qu’il a prescrites, le Ministre de l’Intérieur a donné aux Préfets et aux Commissaires régionaux de la République des instructions précises pour que des rapports réguliers lui soient adressé.
Répression des faits de collaboration
La répression des faits de collaboration repose essentiellement sur l’ordonnance du 2 juin 1944 et du 28 novembre 1944 et l’attitude antinationale de certains français est sanctionnée par l’ordonnance du 26 août 1944. Le concept d’indignité nationale est né de l’insuffisance de la législation pénale existante : « tout citoyen français qui s’est rendu coupable d’une activité antinationale caractérisée est indigne ». Est coupable, en conséquence, de l’indignité nationale : - la participation à un des gouvernements en France depuis le. 16 juin 1940 ; - l’exercice des fonctions de Directeur central ou régional des Commissariats à la Propagande ou aux Affaires juives ; - l’adhésion à certains groupements politiques antinationaux ; - l’organisation de manifestations de tout genre en faveur de la collaboration avec l’ennemi ; - la publication de brochures de propagande en faveur des intérêts ou des doctrines ennemies. L’indignité nationale est prononcée par la section spéciale des Cours de justice pour la répression les faits de collaboration. L’inculpé n’est plus éligible, plus électeur, il est destitué de toute fonction publique, il est déchu de tout grade dans l’armée, il est exclu de toute fonction de direction dans les entreprises concédées, il est incapable d’être juré, expert, arbitre ou témoin, avocat, officier ministériel, directeur d’école, il est privé du droit d’être administrateur ou gérant de société, il est privé du droit de port d’armes. Tout ou partie de son patrimoine peut être confisqué.
LES COURS DE JUSTICE POUR LA RÉPRESSION DES FAITS DE COLLABORATION
L’ordonnance du 26 juin 1944 prévoyait que dans chaque département, au fur et à mesure de la libération du territoire, des Cours de justice seraient constituées. Tout acte au terme des lois en vigueur le 16 juin 1940, ayant eu pour effet de favoriser les entreprises de l’ennemi rentre dans la compétence des Cours de justice. L’ordonnance vise les articles 75 et suivants du Code pénal relatifs à la trahison, à l’intelligence avec l’ennemi et à l’atteinte à la sécurité extérieure de l’Etat. Les Cours de justice sont composées d’un magistrat des Cours et tribunaux, d’un président et de quatre jurés. Ces jurés sont choisis sur des listes établies par une commission de trois membres présidée par le Premier président de la Cour d’appel et où siègent à titre d’assesseurs, deux représentants des Comités départementaux de libération. L’arrêt rendu par les Cours de justice fait connaître la culpabilité (ou non) de l’inculpé et la peine qui lui est infligée.
LA HAUTE COUR DE JUSTICE
Enfin, la mise en place d’une Haute Cour de justice, par l’ordonnance du 13 novembre 1944, a été prévu pour la mise en jugement des grands responsables de la politique de collaboration, membres des gouvernements de Vichy. A la libération, la Chancellerie créera vingt-cinq Cours de justice, divisées en quatre-vingt-cinq sections, certaines décomposées en sous- sections.
L’ORDONNANCE DU 18 OCTOBRE 1944 SUR LA CONFISCATION DES PROFITS ILLICITES
L’occupation ennemie a entraîné un appauvrissement général de la nation. Pourtant certains, profitant des malheurs des autres, se sont enrichis en se livrant à une collaboration économique fructueuse ou en éludant l’application des lois qui sauvegardaient l’intérêt général. Dès la libération, le Gouvernement Provisoire de la République Française prit la décision de confisquer au profit du Trésor public les gains ainsi réalisés.
Ainsi ont été créés des Comités départementaux de confiscation de profits illicites composés des principaux fonctionnaires financiers du département et de trois représentants du Comité départemental de libération. Ces Comités sont compétents pour citer les personnes physiques ou morales dont l’activité leur a été dénoncée par les différentes administrations intéressées. Ils peuvent même se saisir d’office dans le cas de collaboration économique notoire avec l’ennemi. Ils disposent de tous les éléments que détiennent les régies financières, de la déclaration détaillée de ses biens et revenus qu’est tenue de souscrire toute personne citée, et des divers renseignements qu’ils ont pu recueillir directement. Ils évaluent alors le profit illicite réalisé depuis 1930, fixent le montant de la confiscation et éventuellement de l’amende qui sanctionne les dissimulations fiscales, et définissent les sûretés qui doivent accompagner le recouvrement. Celui-ci est effectué comme en matière d’impôts directs.
L’ordonnance distingue deux sources d’enrichissement : le commerce direct ou indirect avec l’ennemi et les opérations violant la réglementation économique, c’est-à-dire l’ensemble des activités communément désignées sous le terme de marché noir. Mais ces agissements ont eu parfois pour but et pour résultat d’entraver l’effort de guerre ennemi. Le Comité peut en tenir compte. Certains commerçants établis ont accepté passivement les gains qui s’offraient à eux mais en prenant les devants et en déclarant eux-mêmes leurs profits, la confiscation fut moins lourde.
Les départements ne sont pas des juridictions, mais ils sont soumis à des règles de procédure qui garantissent les droits des personnes citées. Celles-ci ne sont pas taxées sans avoir été entendues ; les bases de la confiscation leur sont communiquées et leurs observations sont examinées. Contre la décision, qui doit être motivée, un recours est possible devant un Comité supérieur composé de hauts fonctionnaires et de représentants du Comité National de la Résistance et présidé par un président de section du Conseil d’État. Cet organisme offre de sérieuses garanties de compétence et d’impartialité. Il doit, lui aussi, motiver ses décisions qui peuvent être déférées au Conseil d’État par la voie du recours pour excès de pouvoir.