Que Marseille, porte de la France sur la Méditerranée, grande place de commerce, et même de guerre, sous l'Ancien Régime, ait été dotée d'institutions originales, directement issues de cette situation privilégiée, n'étonnera personne. Que, parmi ces organismes, figure en bon rang l'intendance...
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Que Marseille, porte de la France sur la Méditerranée, grande place de commerce, et même de guerre, sous l'Ancien Régime, ait été dotée d'institutions originales, directement issues de cette situation privilégiée, n'étonnera personne. Que, parmi ces organismes, figure en bon rang l'intendance sanitaire, est désormais bien connu des chercheurs que leur curiosité a guidés vers les épidémies, et singulièrement vers la peste de 1720, événement qui a laissé un souvenir si vif qu'il n'est actuellement pas d'année où une publication, une exposition, une conférence, voire une pièce de théâtre, ne s'essaie à retracer ce funeste épisode.
Pour parer aux nombreuses contagions qui faisaient périodiquement des ravages, la ville se mit très tôt à désigner des intendants de la Santé ; ce n'est pas le moindre étonnement de l'historien que de constater l'existence de prescriptions sanitaires des siècles avant le fléau... fléau que lesdites prescriptions auraient dû écarter à jamais, si seulement elles avaient été appliquées dans toute leur rigueur.
Mais la peste de 1720, pour terrifiante qu'elle ait été, ne fut jamais qu'un épisode. Reste l'histoire générale de l'institution, que ses archives, très bien conservées, permettent de retracer, et, surtout, les multiples questions que le chercheur peut poser à ces papiers. Etablis dans un but précis et limité, ces documents nous livrent bien autre chose que des renseignements sur l'état sanitaire des bâtiments entrant dans le port de Marseille. En faisant sa déposition aux intendants de la Santé, le capitaine de bateau énumérait les escales de son voyage ; les itinéraires du commerce marseillais revivent dans ces déclarations, aussi bien que la nature de ce commerce, puisque les marchandises transportées sont décrites, les passagers dénombrés. Quelle meilleure source rêver que celle qui, dressée dans une toute autre intention, fournit à l'historien des éléments dont l'utilisation était imprévisible, et dont la sincérité, de ce fait, ne peut guère être suspectée ? Ainsi, la crainte des épidémies a-t-elle doté ce département d'un fonds d'archives incomparable pour l'histoire du port, et, au-delà, pour celle des relations internationales et du commerce de Marseille.
Institution municipale dans sa création, l'intendance sanitaire est devenue un service d'Etat et a survécu aux bouleversements de la Révolution; sous le nom moderne de Contrôle sanitaire aux frontières, elle a aujourd'hui son siège tout près de l'emplacement des charniers qui ont immortalisé le Chevalier Roze et conserve pieusement divers objets témoins de la part directe prise jadis à la lutte contre les épidémies. Le bureau de la Santé n'a été établi que pour prévenir les funestes accidents qu'entraîne après soi le mal contagieux : ainsi s'exprimait, en 1716, le règlement dressé par les intendants eux-mêmes. Toiles, gravures, aquarelles, instruments chirurgicaux, évoquent encore puissamment à nos yeux la réalité concrète à laquelle furent confrontés les notables chargés de la protection sanitaire de la ville; le magnifique fonds d'archives qu'ils ont laissé n'a pas fini d'inspirer et d'étayer les recherches sur les épidémies, la vie quotidienne, le commerce, les relations maritimes, l'histoire du port et de la ville de Marseille, non seulement sous l'Ancien Régime, mais durant les XIXe et XXe siècles. Stendhal, consul de France à Civita Vecchia, a pu écrire le 2 décembre 1831 aux intendants de la Santé de Marseille :"on regarde cette ville (Marseille) ici comme le quartier général de la Santé", bel hommage rendu à l'utilité de l'institution.