Le fonds Ulrich Wey (303 J), l’itinéraire singulier d’un prisonnier de guerre allemand

Lettre adressée à Ulrich Wey, prisonnier de guerre à Marseille, 20 décembre 1947 : recto. Arch. dép. des Bouches-du-Rhône 303 J 2

Voir toutes les images (5)

Un soldat allemand de 16 ans

Né à Berlin en 1926, Ulrich Wey est enrôlé dans l’armée allemande à seize ans pour servir dans la défense anti-aérienne le soir et la nuit et continue de fréquenter le lycée pendant la journée. Après une formation dans un camp militaire de Silésie en 1943, Il rejoint un régiment de cavalerie blindée et prend part à la contre-offensive de Runstedt, près d’Aix-la-Chapelle, le 16 décembre 1944. Blessé dans l’explosion de son char et fait prisonnier par les Américains alors qu’il se trouve à l’hôpital, Ulrich Wey est finalement remis aux Français.

Deux ans de captivité et une vie dans le Midi de la France

À 18 ans, il rejoint ainsi le camp de prisonniers de Rivesaltes puis arrive à Aubagne. Il est alors recruté comme ouvrier agricole, à Maussane chez les Gauthier où il apprend le français avec madame van de Kerkhove, puis à La Treille, près d’Aubagne, chez les Bourrelly où il fait également la connaissance de réfugiés espagnols investis dans des mouvements d’extrême-gauche. Après sa libération, Ulrich Wey retourne quelques jours à Potsdam pour retrouver sa mère et sa sœur logées chez des voisins depuis l’occupation de leur maison par les troupes soviétiques. Mais cette visite ne peut être un retour pour Ulrich Wey car l’Allemagne « n’est déjà plus tout à fait " son " pays ».

Il revient à Marseille où un emploi l’attend. Il a en effet rencontré chez les Bourrelly Monsieur Barborin et sa compagne Anna Rosé. Le couple, qui réside rue Rouvière, possède une propriété à La Treille pour laquelle il recherche un ouvrier agricole, et un atelier de confection 2 rue Grignan. Initialement employé pour s’occuper des cultures et des chèvres et du « Cottage Annette », Ulrich Wey réussit rapidement à se rendre indispensable à l’atelier pour tous les travaux de bricolage et de réparation et s’installe chez les Barborin. Il entretient alors une correspondance régulière avec sa famille et quelques amis, pour la plupart restés en Allemagne, jusqu’au milieu des années 2000. Il décède à Aubagne en 2015.

Le basculement d’une vie

Le fonds Ulrich Wey se compose d’un ensemble de lettres en allemand, auquel s’ajoutent quelques pièces de documentation et un récit autobiographique racontant le basculement de sa vie entre 1944 et 1950 intitulé Un grand sac trop plein, six années pas ordinaires.

Le retour des soldats fait aujourd’hui l’objet de nombreuses études historiques qui soulignent les difficultés du retour à la vie civile et intime, loin des schémas idéalisés. Mais certaines trajectoires, plus complexes encore, ont conduit des démobilisés et ici un soldat libéré, à faire des choix définitifs, rompant clairement avec la conduite attendue. Ces parcours ne sont que très peu représentés dans les matériaux dédiés à la recherche historique et, de ce fait, très rarement évoqués. Les archives d’Ulrich Wey viennent alimenter cet axe de recherche en mettant en lumière un parcours individuel original. Entre situations imposées et choix personnels, ce fonds met en lumière les réflexions, les motivations, les difficultés d’Ulrich Wey et, sur plusieurs décennies, le changement progressif des regards. À la rareté du témoignage d’un Allemand anonyme sur son expérience de la guerre et de l’après-guerre s’ajoute la durée de ces échanges épistolaires courant sur plus de soixante ans dans lesquels trouvent aussi place les évocations des événements historiques qui ont marqué l’Allemagne entre 1945 et 1989. Tous ces éléments de lecture font de ces lettres, trace pérenne et sensible d’un choix individuel, un ensemble remarquable.

Ce fonds est librement communicable.

haut de page